mardi 29 avril 2014

Le Couvent de la Tourette - un musée vivant ?

Un dimanche d'avril, visite guidée du couvent.

J'ai eu l'infime chance de passer un week-end en résidence dans le couvent de la Tourette, aux environs de Lyon. Ce bâtiment a été construit par Le Corbusier à la demande des Frères dominicains et inauguré en 1959.

C'est une expérience à la fois formidable, de pouvoir habiter (et pas seulement visiter) une architecture unique et si forte. En même temps habiter dans un musée a donné lieu à quelques situations assez... surréalistes.


Un peu d'histoire

Le couvent inauguré en 1959 était conçu pour accueillir 70 frères dominicains, et devait être "un lieu de méditation, de recherche et de prière pour les frères prêcheurs". Seulement, dix ans après son inauguration, une grande partie des frères a préféré partir vivre leur sacerdoce dans les villes, plus près des populations. Ne sont plus restés dans le bâtiment qu'une vingtaine de frères - et aujourd'hui ils ne sont plus que 10. Cela fait donc plus de quarante ans que ce lieu n'abrite plus la colonie humaine pour laquelle il a été conçu. Il a fallu se renouveler, maintenant les salles accueillent des conférences, le lieu des expositions, parfois même des concerts. Et les cellules des frères laissées vacantes hébergent des laïcs, le temps d'un stage, d'une retraite personnelle, ou d'une visite culturelle, comme certains férus d'architecture, venus passer là une ou deux nuits dans l'architecture de Le Corbusier.
Posé laconiquement par Jean-Louis Cohen dans son livre Le Corbusier : "Après l'arrêt du programme de formation consécutif à la crise des vocations religieuses, le couvent deviendra un centre culturel de rencontres". Certes, mais c'est également encore un couvent, qui continue à héberger quelques frères, dans l'observation stricte des règles de silence qui définissent les étages des logements, par exemple.



La Tourette, un musée vivant ?

Détente après la visite guidée
Ces deux mots sont d'importance.

A en juger par les foules qui se sont pressées pendant notre week-end en résidence, à l'extérieur et dans les visites guidées, le lieu a bien la force d'attraction d'un musée. Je parle ici de dizaines de visiteurs, souvent venus de loin, appareil photo en bandoulière, scrutant chaque recoin d'un édifice unique, bien plus fort que Le Louvre ou qu'Orsay.

Vivant, on peut le prendre sous deux angles: d'abord, le couvent est encore habité par quelques frères, on peut donc considérer qu'ils perpétuent la vocation du lieu, et d'ailleurs les consignes de silence dans les étages de résidence et certaines pièces strictement réservées en témoignent.
Ensuite, il y a dans le comportement des visiteurs bien malgré eux quelque chose d'une visite "zoologique". Les être vivants présents dans le lieu font en quelque sorte partie du décor, mais ce n'est pas eux qu'on est venu voir. C'est un couvent, un lieu religieux, mais c'est la chose architecturale qui fascine, non par sa référence au divin, mais par l'ensemble des choix techniques et graphiques que l'architecte a opérés. Et d'un coup la vocation du lieu s'efface au profit de l'homme qui l'a créé, les rares humains présents s'excusant presque d'être dans le champ de la photo.

Nous avons eu cet épisode cocasse d'une promeneuse, qui avait réussi à entrer dans le couvent - par ailleurs fermé en dehors des visites - et qui déambulait dans la salle à manger pendant notre déjeuner, appareil photo autour du cou. On ne peut pas vraiment la blâmer, mais c'est là toute l'ambiguïté de la situation actuelle de ce couvent, d'être à la fois lieu de vie et lieu de visite.

Mon expérience vécue

Le couvent vu du parc, en haut les étages des cellules
Fort heureusement mon expérience en résidence au couvent de la Tourette ne se limite pas aux quelques lignes un peu critiques écrites plus haut.
Il est très rare, et sans nul doute exceptionnel, de pouvoir séjourner ainsi dans une oeuvre architecturale. Dans le cas de Le Corbusier, c'est quasiment unique. Et si j'ai raillé les hordes de promeneurs photographes, je mesure également la chance que j'ai eue par rapport à eux de pouvoir sentir cette architecture, là où un visiteur ne faisait que l'apercevoir.

Passées les premières interrogations sur la forme du bâtiment et la présence brute du béton, on se fait très bien au lieu. D'abord, l'environnement extérieur est extrêment reposant, avec un parc boisé de 30ha, la nature est bien présente. Ensuite, l'édifice lui-même est très lumineux, à la fois par les nombreuses surfaces vitrées qui font se mélanger intérieur et extérieur, et sans doute par l'absence de double-vitrage, qui enlève de l'épaisseur et amène de la proximité.
Même les cellules, pourtant relativement petites, sont très bien conçues et lumineuses: le balcon et la fenêtre font l'exacte largeur de la cellule, elle-même s'étirant en longueur selon un plan pratique et indiscutable: lavabo - lit - bureau - balcon. C'est simple mais agréable à vivre.

Pour la petite histoire, les coffrages des balcons des cellules proviennent de l'unité d'habitation de Firminy, et comme elle le bâtiment s'appuie fortement sur le Modulor pour ses dimensions.

Les surfaces vitrées des pièces communes contrastent avec les cellules
Là où les cellules se déploient sur 2 niveaux à hauteur d'homme, les pièces collectives (salle du chapitre, salle à manger, salles de "réunion") nous offrent un espace immense et pour chacune un mur complet ouvrant sur l'ouest et la colline. La lumière et la nature pénètrent avec vigueur, et encore une fois on s'émerveille de la luminosité apportée dans le bâtiment.


Même constat dans les couloirs de distribution, cette fois tournés vers l'intérieur du carré formé par le bâtiment, et d'où l'on aperçoit à travers les vitres les différents éléments du couvent.
La lumière circule, les hommes aussi.

De nombreux ouvrages traitent en détail des autres éléments du couvent, de l'histoire de sa construction, des choix de l'architecte, des couleurs, des fenêtres "à la Mondrian" ou des espacements des fenêtres calculés par Xenakis comme une partition - pour ma part j'arrêterai ici mon évocation personnelle et sensitive du lieu, et vous invite à parcourir les quelques photos supplémentaires que j'ai postées en suivant ce lien.


Il y a de la poésie dans ce couvent.
Qu'il est dommage qu'il soit "habité" de manière si irrégulière... Appel aux vocations !

2 commentaires:

Jean a dit…

Heureux que tu aies pu vivre ça ! Nous ne nous rendons plus compte de la chance que nous avons quand nous y allons pour des sessions. Sympa ton blog ! Encore un nouveau talent ?!

Anonyme a dit…

Bonjour,
Je suis inscrit au MOOC et j’ai rajouté votre blog au mien
http://fblanc888.wordpress.com/
Si vous voulez bien sur!
Amicalement.
Fabrice.